

Le Brésil vit une période de turbulences.
En l’espace d’un mois, deux ministres de la Santé et le ministre de la Justice ont quitté le gouvernement, plongeant l’administration de Jair Bolsonaro dans la tourmente, alors que la négligence du président face au COVID-19 est de plus en plus contestée.
Le pays enregistre désormais le taux de mortalité dû au COVID-19 le plus élevé d’Amérique latine – un taux qui serait multiplié par deux tous les cinq jours – et les hôpitaux de São Paulo sont au bord de la rupture.
Mais ce chaos ne doit pas faire oublier une constante datant d’avant l’épidémie : les assauts incessants contre les forêts et les droits des peuples indigènes. Ces attaques n’ont fait que s’intensifier et sont soutenues, en haut lieu, par un gouvernement dont le ministre de l’Environnement suggère – dans une vidéo rendue publique par la Cour suprême du Brésil – de profiter de l’opportunité offerte par le coronavirus pour simplifier la réglementation sur la protection de l’Amazonie, pendant que la presse regarde ailleurs.
En avril, la déforestation en Amazonie a augmenté de 64 % par rapport à l’année précédente, les défenseurs de l’environnement étant tenus éloignés du terrain. Leur absence a laissé un vide exploité par les bûcherons et mineurs clandestins qui s’emparent de terres indigènes.
Cette situation a fait de la région amazonienne un terreau pour la propagation du coronavirus. « Le virus atteint les territoires indigènes à travers le Brésil à une vitesse effarante », constate dans un communiqué l’Association des peuples indigènes du Brésil (APIB), partenaire de Fern. L’APIB rapporte que 67 communautés autochtones comptent désormais des cas de personnes contaminées et que les taux de mortalité semblent plus élevés que dans la population générale.
Le besoin impérieux d’une action européenne


L’APIB et d’autres mouvements représentant les communautés indigènes appellent depuis longtemps l’Union européenne (UE) à prendre sa part de responsabilité dans la destruction de l’Amazonie et du Cerrado, et dans les violations des droits qui y sont associées. Cette responsabilité réside essentiellement dans le fait que l’UE consomme d’énormes quantités de soja et de bœuf importées du Brésil. Or les preuves liant ces filières aux conflits sociaux, à l’accaparement des terres et à la déforestation sont accablantes.
La crise actuelle ne fait qu’accentuer la nécessité d’une action urgente de l’UE et du Royaume-Uni pour contrer ces pratiques.
Le 5 mai dernier, l’Observatoire brésilien du climat (Observatório do Clima), un réseau de 50 organisations issues de la société civile travaillant sur les politiques climatiques, a appelé l’UE à réviser son accord commercial avec les pays du Mercosur, dont le Brésil.
« La pandémie de coronavirus rend indispensable une relance économique durable. Par conséquent, les garanties environnementales de l’accord, qui étaient déjà insuffisantes avant le COVID-19, rendent désormais le document obsolète », ont plaidé ses membres.
Fort heureusement, le projet d’une réglementation européenne sur la diligence raisonnable permettant aux pays de l’UE de se prémunir contre les violations des droits de l’Homme et la destruction environnementale dans leurs chaînes d’approvisionnement – comme cela se produit avec les importations brésiliennes – est en train de prendre forme. Cela fait suite à la publication, l’an dernier, d’une communication de la Commission européenne pour accroître les efforts européens en faveur de la protection et de la reconstitution des forêts à travers le monde.
L’UE a aussi posé un autre jalon pour faire en sorte que ses importations agricoles cessent de contribuer au désastre en cours au Brésil.
Dévoilée le 20 mai, la stratégie de la Commission européenne « De la ferme à la table » pour une alimentation durable est « au cœur du pacte vert [pour l’Europe] » et a pour but de traiter « de façon détaillée des difficultés que soulève la mise en place de systèmes alimentaires durables, en reconnaissant les liens inextricables entre des personnes en bonne santé, des sociétés en bonne santé et une planète en bonne santé ».


Cette stratégie précise que le renforcement des exigences de durabilité du système alimentaire de l’UE doit s’accompagner de politiques élevant les normes à l’échelle mondiale « de manière à éviter l’externalisation et l’exportation des pratiques non durables ». Elle indique aussi explicitement que de telles mesures devraient être juridiquement contraignantes : « Afin de réduire la participation de l’UE à la déforestation et à la dégradation des forêts à l’échelle mondiale, la Commission présentera une proposition législative et d’autres mesures visant à réduire au minimum la mise sur le marché de l’UE de produits associés à la déforestation. »
Il s’agit là d’un signe supplémentaire de la volonté européenne d’introduire des normes de durabilité mondiales dans les chaînes d’approvisionnement alimentaires et d’en finir avec la déforestation et d’autres abus qui entachent ses importations agricoles. Reste à voir comment cet engagement sera mis en œuvre.
Son penchant pour la destruction environnementale vaut en tout cas au gouvernement Bolsonaro des marques d’hostilité de plus en plus manifestes. Le 19 mai, 40 entreprises, notamment les poids lourds de la grande distribution britannique Tesco, Morrisons, Asda et Marks & Spencer, ont signé une lettre ouverte dans laquelle ils laissent entendre qu’ils pourraient boycotter les produits brésiliens si une nouvelle loi controversée légalisant l’occupation privée de terres publiques était adoptée au Brésil. Cette loi, assurent-ils, encouragerait « davantage d’accaparements de terres et une déforestation massive ».
Nos modèles de consommation et de production sont lourdement dépendants des terres et des ressources d’autres peuples, souvent confisquées au mépris de leurs droits. Les conséquences de ces pratiques sont aujourd’hui criantes au Brésil.
Et comme le soulignent nos confrères brésiliens, la meilleure façon pour les Européens d’y répondre est de le faire par des actions concrètes, y compris par la voie législative, en rendant illégale l’importation de produits conçus dans ces conditions. Aujourd’hui plus que jamais, ces actions semblent en passe devenir réalité.
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