
La proposition de règlement de l’Union Européenne (UE) sur les produits « zéro déforestation » pourrait représenter un outil décisif pour lutter contre la déforestation au Ghana et compléter les accords de partenariat volontaire (APV) conclus par l’UE avec de nombreux pays producteurs de bois, dont le Ghana.
Néanmoins, pour le partenaire ghanéen de Fern, Civic Response – qui est en première ligne de la protection des forêts du pays et des droits de ceux qui en dépendent – il reste des questions sans réponse, ainsi que des lacunes potentiellement importantes dans le projet de règlement.
Ces préoccupations concernent notamment les petits exploitants.
L’UE est le premier importateur mondial de cacao, dont une grande partie provient du Ghana, mais les répercussions de cette législation sur les petits exploitants, qui dominent le marché du cacao au Ghana, n’ont pas encore été dûment étudiées. Tant que cette évaluation n’aura pas été réalisée, on peut craindre que les petits exploitants ne soient contraints de supporter une charge disproportionnée pour se conformer au règlement.
Survie
Pour assurer la survie de leur famille, les petits exploitants sont forcés de développer leurs cultures. Ce phénomène accentue la déforestation et la dégradation de l’environnement, ce qui a des conséquences négatives directes pour les petits exploitants eux‑mêmes.
Albert Katako de Civic Response explique que les petits exploitants, qui sont directement concernés par le règlement, joueront aussi un rôle essentiel dans sa réussite : « il est indispensable que leur point de vue à ce sujet soit entendu et qu’on les aide à comprendre et à suivre ce processus en faisant en sorte qu’ils soient le moins pénalisés possible sur le plan financier ». C’est pourquoi les organisations de la société civile (OSC) du secteur forestier ghanéen vont s’associer à d’autres parties prenantes pour procéder à une analyse de ses répercussions sur les petits exploitants et les autres parties, y compris le secteur privé et le Ghana Cocoa Board (ou COCOBOD). Ce que l’on sait déjà, toutefois, c’est que les petits exploitants devraient se voir proposer un soutien spécifique et un prix adéquat pour leurs produits.
Civic Response espère aussi que, le règlement prenant forme, l’UE leur offrira une tribune pour exposer les conclusions des diverses réunions tenues avec d’autres OSC ghanéennes travaillant dans les secteurs des forêts et du cacao.
Du point de vue du Ghana, le règlement présente un défaut de taille : il ne traite pas de l’exploitation minière, qui favorise davantage la déforestation dans le pays que le cacao. Pour être efficace, le règlement doit donc s’appliquer à l’or, aux diamants et à la bauxite.
Les définitions des forêts, de la dégradation des forêts et de la déforestation figurant dans le règlement devraient être établies à l’échelle nationale et suivre celles qui ont déjà été approuvées durant le processus multipartite de l’APV. Au Ghana, la règle veut que toutes les terres extérieures aux réserves forestières soient destinées à l’agriculture. Cette question pourrait être résolue en accordant aux petits exploitants une compensation financière suffisante pour les aider à restaurer les terres déboisées, ou en faisant auprès d’eux la promotion de l’agroforesterie – afin que les plantations de cacao dont la couverture forestière est satisfaisante (10 % au moins) ne soient pas considérées comme de la dégradation forestière.
« En ce qui concerne les exportations de bois visées par la législation, Civic Response et d’autres parties prenantes ghanéennes souhaitent que le bois sous licence FLEGT bénéficie d’une dérogation comme convenu dans l’APV, et ne soit pas soumis à des obligations en matière de diligence raisonnée pour le volet durabilité ou légalité de la législation, explique M. Katako. En effet, les questions de durabilité et de légalité sont dûment traitées dans l’APV du Ghana. »
Contrairement à l’APV – qui est le fruit d’un processus de délibération pluripartite – le règlement est davantage « descendant » et unilatéral, même si les articles 27 et 28 prévoient des mécanismes de contribution des parties prenantes nationales. Le règlement doit mettre à profit les enseignements qui se sont dégagés du processus APV FLEGT et s’inspirer du modèle de l’AVP.
Le Système ghanéen de traçage du bois, par exemple, a été développé dans le secteur du bois, mais il a bénéficié des contributions de nombreuses parties prenantes. Le Système de gestion du cacao – un système national de traçabilité du cacao – est actuellement mis au point par le gouvernement ghanéen et pourrait tirer de précieux enseignements du Système ghanéen de traçage du bois.
Les ONG ghanéennes ont déjà encouragé cette fertilisation croisée, notamment lors d’une réunion organisée par EcoCare Ghana le 8 avril 2022 entre le gouvernement ghanéen et les ONG qui mettent en œuvre le système de traçage du bois et développent le Système de gestion du cacao.
Progrès
Au Ghana, l’APV lui‑même en est à un stade décisif.
Si l’UE semble peu encline à continuer de travailler sur l’application des règlementations FLEGT et à financer ce programme, des progrès notables sont réalisés sur le terrain, et le Ghana est sur le point de devenir le deuxième pays au monde à obtenir une licence FLEGT, qui garantit que le bois est récolté, transformé et exporté de façon légale.
Le Ghana a résolu quatre des cinq grands problèmes détectés par l’équipe d’évaluation conjointe en 2020, et auxquels il devait remédier avant que l’autorisation FLEGT puisse être octroyée.
Le point décevant qui n’a pas encore été réglé est la hausse du nombre de permis forestiers spéciaux délivrés par la Commission forestière. EcoCare a intenté une action contre cette dernière afin d’obtenir de la Haute cour qu’elle déclare inconstitutionnelle, et donc nulle et non avenue, la délivrance persistante des permis spéciaux (ou administratifs et/ou ministériels). En outre, le ministre des Terres et des Ressources naturelles a écrit à la Commission forestière pour qu’elle cesse d’accorder des permis spéciaux.
Toutefois, si le Ghana a effectué de réelles avancées au regard de l’APV, l’UE a vu sa volonté faiblir. Plus précisément, elle a échoué à sensibiliser les États membres aux autorisations FLEGT, elle a créé des tensions fâcheuses entre le bois sous autorisation FLEGT et le bois certifié et elle est revenue sur sa promesse de créer une dérogation pour le bois sous autorisation FLEGT. Elle n’a pas non plus pris conscience que le respect de la durabilité reposait sur la légalité et elle a enfin renoncé au contenu de la définition négociée et approuvé de la légalité au regard des droits de coupe.
Malgré ces aspects préoccupants, les progrès sensibles réalisés dans la mise en œuvre de l’APV – qui est le fruit du travail d’un large éventail de parties prenantes, toutes unies pour protéger les forêts qui subsistent au Ghana – est une formidable source d’enseignements pour l’UE alors que prend forme son règlement sur la déforestation.
Catégories: Forest Governance, Ghana