
Ces dix dernières années, les accords de partenariat volontaires (APV) de l’UE – conclus dans le cadre du programme pour l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (FLEGT) – ont été la marée montante qui soulève tous les bateaux, un moteur de changement unique mariant des avantages commerciaux à une amélioration fondamentale de la gouvernance. Les organisations de la société civile (OSC), au Ghana et ailleurs, ont été abasourdies d’apprendre que certains au sein de la Commission européenne semblaient proposer unilatéralement de saborder le projet.
Les OSC se sont étonnées que le « bilan de qualité du règlement FLEGT » ne semble prendre en compte que les aspects commerciaux des APV FLEGT, se fondant sur un critère binaire simplifié « licence/pas de licence », qui ne reflète aucunement des avancées aujourd’hui profondément ancrées, dont la réforme substantielle du cadre juridique. Les OSC ghanéennes soulignent que c’est la promesse d’une « voie verte » vers l’accès au marché de l’UE pour les produits du bois sous licence qui a encouragé le secteur privé à négocier et que c’est le processus mis en place pour permettre à terme la délivrance de ces licences qui est à l’origine de véritables transformations dans le secteur forestier du pays.
« Les acteurs du secteur privé étaient enthousiastes, car les procédures de diligence raisonnable sont onéreuses », explique Obed Owusu-Addai d’EcoCare. « Leur proposer un système de licences a fonctionné à merveille : on n’avait jamais vu le secteur privé et la société civile se mettre d’accord sur les droits des communautés ou sur des questions de responsabilité sociale et, pourtant, c’est bien ce qui s’est passé. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises se tournent vers des OSC pour vérifier qu’elles sont dans les clous », ajoute-t-il.
FLEGT a élargi l’espace dévolu à la société civile et aux communautés dans le processus décisionnel, en promouvant concrètement la transparence, l’accès à l’information et la redevabilité dans la gestion des ressources de bois, sachant qu’auparavant, ces exigences n’existaient que sur papier. Les processus de FLEGT en faveur de la participation des parties prenantes ont contribué à façonner en 2012 la politique pour les forêts et la vie sauvage du Ghana, qui consacre les droits des communautés (droits de propriété sur les arbres, partage des bénéfices, accès à l’information, participation). Mais les changements ne se limitent pas à la réforme du cadre juridique. Grâce aux systèmes mis en place dans le cadre du processus APV, la société civile a été en mesure de détecter et d’enrayer la récolte illégale de bois, comme ce fut le cas en 2018, lorsqu’elle s’est rendu compte que du bois de rose était abattu illégalement sous le couvert de permis de récupération. L’action de la société civile, renforcée par FLEGT, a également permis d’augmenter de 640 % les recettes fiscales liées à l’exploitation forestière perçues par le gouvernement et les communautés, grâce à une revue à la hausse des droits de coupe.
Il serait particulièrement regrettable de se détourner de FLEGT aujourd’hui, alors qu’un obstacle administratif vient d’être levé. Cela fait des années que le Ghana est à deux doigts de pouvoir délivrer des licences, mais le ministre des Terres et des Ressources naturelles bloquait le processus, insistant, par exemple, sur des détails administratifs non prévus par la loi pour la conversion des baux existants. Son successeur, en revanche, est motivé : il s’informe de l’avancement du dossier depuis plusieurs mois et est déterminé à faire avancer le processus qui permettra la délivrance de licences FLEGT.
Avec cette lumière au bout du tunnel, les OSC sont d’avis que les problèmes qui empêchent la délivrance des licences pourraient être rapidement résolus. « Sur le plan technique, le système est prêt. Les recommandations finales de l’évaluation conjointe sont réalisables et nous demandons avec insistance la ratification de la conversion des baux existants », explique Albert Katako de Civic Response. « À présent, les responsables politiques ghanéens et européens doivent se décider sur un calendrier – qui s’étalerait sur trois ou quatre mois seulement – pour la mise en œuvre des recommandations et fixer une date pour l’octroi des licences et le début de l’exportation de bois sous licence FLEGT. » D’aucuns craignent que sans la possibilité d’obtenir ces licences, le secteur privé ne renoue avec ses anciennes pratiques destructrices et qu’il ne cherche de nouveaux marchés qui se soucient peu de la légalité et des droits des communautés.
Les OSC sont également déçues que l’UE ne semble pas disposée à motiver ses troupes, en encourageant par exemple les autorités compétentes des États membres à considérer que les licences FLEGT sont une preuve de durabilité dans leurs politiques de marchés publics. Les réunions du mécanisme conjoint de suivi et d’évaluation (MCSE) qui dynamisaient autrefois le processus ont été abandonnées ces dernières années – la dernière réunion en date remonte à mai 2019.
Bien que ce ne soit qu’un service de la Commission qui formule ces propositions, ces déclarations publiques menacent concrètement la crédibilité de l’UE. D’après les OSC, les populations de nombreux pays producteurs de bois ont leur regard tourné vers FLEGT. Dès lors, l’abandonner soudainement, alors que le Ghana a de nouveau l’espoir de pouvoir délivrer des licences et que le Honduras vient de signer un APV de bonne foi, pour « se plonger dans un nouveau système » susciterait un grand sentiment de désillusion.
Un dialogue organisé le 23 mars 2021 entre la Commission, des eurodéputés et des OSC n’a pas permis d’apaiser les craintes. Des représentants de la Commission ont donné l’impression de dissocier la durabilité de la légalité, alors que les partenaires dans les pays producteurs de bois considèrent la légalité comme un pilier essentiel de la durabilité, que la certification ne peut offrir. L’élaboration de « partenariats pour les forêts édulcorés » a également été accueillie avec méfiance, étant donné que les accords commerciaux FLEGT sont déjà solides, détaillés et juridiquement contraignants.
M. Owusu-Addai résume la situation en évoquant une déclaration récemment publiée par une coalition d’OSC ghanéennes : « Il nous faut simplement analyser les goulots d’étranglement et trouver des solutions plus ciblées. Les APV sont-ils la panacée ? Non. Il reste des défis à relever, mais il ne faut pas pour autant abandonner FLEGT. »
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