Le RDUE a déjà un impact – et un vaste travail de sensibilisation reste à faire
12 décembre 2024
Tristement, une société qui agit sans gêne quant à l’absence d’autorisations n’a rien de remarquable. Ce qui l’est davantage, c’est quand le fait d’apprendre qu’elle ne pourra pas vendre le produit de ces activités sur le marché européen provoque un changement de comportement radical. La petite victoire de communautés camerounaises à l’encontre d’une compagnie de caoutchouc indique que les effets du Règlement Déforestation de l’Union Européenne (RDUE) se font déjà sentir sur le terrain. La situation laisse entrapercevoir aussi un trou béant de sensibilisation, en UE comme dans les pays producteurs, aux obligations du RDUE, ainsi que le dilemme qui reste à résoudre pour les communautés concernées.
Dans la situation actuelle, la compagnie RubberCam se livre depuis huit ans à un bras de fer avec des membres de communautés locales dans la région du Sud-Cameroun. Ceci ne l’a pas empêchée de défricher 1 200 hectares de forêt (sur un ensemble de 1 500 ha) – sans titre foncier, sans autorisation – pour y planter de l’hévéa (caoutchouc) et des bananes plantains. Une mission récente du Ministère des Affaires foncières a constaté sur place le manque de documents nécessaires ; une demande avait été introduite, mais la compagnie avait devancé l’autorisation.
Un leader d’une des communautés avait pris sa retraite anticipée de l’armée pour mener l’opposition au projet de RubberCam ; le conflit divise la population entre les élites qui tirent profit de la présence de la compagnie, et ceux qui voudraient contrôler eux-mêmes leurs terres traditionnelles, ou qui ne sont tout simplement pas au courant des autorisations manquantes.
Appelée à assister, l’ONG camerounaise le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), a épaulé l’effort de l’opposition en indiquant que le caoutchouc est couvert par le RDUE, et que celle-ci interdit la vente sur le marché européen de commodités – caoutchouc, cacao et autres – produites sur des terres défrichées après le 31 décembre 2020, comme dans le cas présent. Bien que gérée par un français, les cadres de la compagnie ne connaissaient ni le règlement UE, ni la date butoir.
C’est la goutte de trop : la compagnie décide de jeter l’éponge. L’activité était supposément illégale sans l’implication du RDUE, mais c’est celui-ci qui apporte l’élément décisif.
Dès lors les possibilités s’ouvrent, ce qui est déjà un résultat positif pour les communautés touchées. Certains individus y voient une opportunité pour les communautés de récupérer les terres et « de nouer un partenariat gagnant-gagnant avec l’État camerounais ». Ces terres sont aussi convoitées par les élites des communautés.
Une chose est certaine : les terres restent défrichées. Elles sont replantées avec un produit invendable en UE, et ceci même si les communautés arrivent à trouver quelqu’un pour financer le coût – élevé – de la récolte. La reconversion/replantation s’annoncerait elle aussi coûteuse.
Cette situation se répète sans doute, thème et variations, à travers le monde. Samuel Nguiffo, of CED, y voit une bombe à retardement : il s’inquiète surtout pour les petits producteurs vulnérables qui, dans les deux ou trois ans jusqu’à la maturation des plantes, vont se désespérer à la découverte que les revenus escomptés s’évanouissent et que leurs investissements de travail et d’argent se perdent.
Si on peut applaudir l’impact du RDUE provoque sur le terrain et les cas où les terrains disputés se retrouvent à juste titre entre les mains des communautés locales, on doit admettre que tout le bienfait du règlement repose sur son incitation à éviter le défrichement des forêts, à éviter le désarroi des communautés locales qui doivent ensuite gérer les problèmes qui surgissent dans le sillage de compagnies mal-informées. Dans le cas présent, la solution doit s’élaborer entre communautés et État ; mais l’UE doit aussi en prendre conscience et agir pour prévenir des situations intenables pour les communautés. Un vaste travail de sensibilisation s’impose.
Samuel Nguiffo, Directeur du Centre pour l'Environnement et le Développement (CED)
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