
L’instabilité politique et sécuritaire à laquelle la République centrafricaine continue de faire face fragilise la protection et la gestion inclusive de ses forêts. Un contrôle gouvernemental quasi inexistant et l’augmentation de l’exploitation chaotique du bois menacent les moyens de subsistance des populations locales déjà durablement éprouvées par des années de conflit et l’assainissement du secteur forestier.
L’observation indépendante des forêts – mandatée, externe, communautaire – est au cœur des efforts de la société civile centrafricaine pour lutter contre la déforestation et l’exploitation illégale des forêts et maintenir l’élan de l’Accord de Partenariat Volontaire-FLEGT signé avec l’Union européenne (UE). Cependant, cet outil souffre d’un appui et d’un encadrement encore faibles qui compromettent son ancrage durable.
Les organisations de la société civile (OSC) de la République centrafricaine (RCA) ne sont pas rassurées : le bilan de santé du FLEGT (Plan d’action de l’UE relatif à l'application des réglementations forestières, à la gouvernance et aux échanges commerciaux) continue de projeter une ombre d’incertitude sur l’avenir des Accords de Partenariat Volontaire (FW 268). Or l’abandon des APV pourrait signifier un regrettable retour en arrière pour l’Observation indépendante (OI) des forêts et donc pour la lutte contre la déforestation illégale, et ainsi mettre à mal les engagements politiques en faveur de la transparence et de l’inclusion qui ont permis à ces activités de se développer.
L’OI est essentielle pour déterminer si le bois exploité en RCA est « légal ». Elle constitue la clé de voûte de l’APV conçu pour arrêter le commerce de bois illégal vers l’UE et améliorer la gouvernance dans le secteur forestier. Mais la « légalité » est une question complexe, qui concerne tant la multitude d’exigences techniques tout au long de la chaîne de contrôle du bois, que des questions fondamentales telles que le respect des droits des communautés et des travailleurs, des obligations et cotisations sociales, de la fiscalité... Elle nécessite donc un éventail d’actions pour être vérifiée.
En RCA, le suivi de l’application de la loi était au point mort depuis la crise sécuritaire de 2013 ; les missions de contrôle forestiers étaient rarement, voire jamais effectuées, et le sommier des infractions – un document officiel enregistrant les infractions à la législation forestière, les sanctions prises ainsi que leur suivi − n’avait pas été mis à jour depuis son création en 2009. S’appuyant sur l’obligation de transparence et de participation des parties prenantes exigées par l’APV-FLEGT, les OSC ont incité l’administration forestière à réactiver le contrôle forestier. Ainsi, les OSC ont contribué à l’élaboration d’un document de validation du sommier des infractions, appuyé l’élaboration d’un manuel détaillé des procédures du contrôle forestier (Centre pour l’Information Environnementale et de Développement Durable - CIEDD) ainsi qu’un référentiel juridique de l’OI (Forêts et Développement Durable, FDD) permettant de qualifier et d’analyser les faits observés.
L’OI mandatée est menée par CIEDD qui est officiellement habilitée dans ce rôle par l’administration forestière. CIEDD bénéficie d’un large accès aux registres des entreprises et effectue des missions d’observation conjointes avec les agents forestiers.
Mais les quelques observateurs indépendants officiellement mandatés ne sont pas en mesure de couvrir l’ensemble des activités forestières en RCA. Par le biais du Groupe de Travail des Observateurs Indépendants (GT-OI) créé par la Gestion Durable des Ressources Naturelles et de l’environnement (GDRNE), des observateurs indépendants non mandatés – « externes » – reçoivent une formation technique afin de réaliser des missions d’OI. Les parties prenantes du secteur forestier échangent des informations, préparent les missions, analysent les dénonciations d’illégalités et évaluent les rapports d’OI. Ils travaillent également avec des groupes de veille communautaire, qu’ils forment à repérer les infractions, étayer leurs observations et dénoncer les illégalités suspectées auprès des autorités.
« Le fait de réactiver le contrôle forestier délaissé depuis plusieurs années a permis des avancées importantes », a expliqué Josias Ndewa Zeneth, de l’Observatoire de Gestion de Ressources Naturelles et de l’Environnement (OGRNE).
Marien Yakité, de FDD explique que : « Grâce à l’APV, la société civile centrafricaine a pu mener l’OI tout en impliquant les communautés locales et autochtones dans la chaîne de dénonciation à travers le mécanisme de la veille communautaire. L’APV a permis à la société civile de collaborer avec toutes les parties prenantes de la gouvernance forestière, en particulier l’administration forestière, qui a déclenché des missions de contrôle forestier à la suite des rapports d’OI et des dénonciations issues des veilles communautaires. »
Cependant, le renforcement d’un système de contrôle forestier multidimensionnel pourrait ne pas résister au choc de l’abandon. Un certain laxisme persiste de la part de l’administration forestière dans leur mandat de contrôle et de poursuite des infractions devant les juridictions administratives et judiciaires. Josias Zeneth a souligné que « malgré les avancées, l’exploitation forestière illégale se fait toujours sentir de manière aiguë en RCA. »
Contrairement à celui de la République du Congo, le code forestier de la RCA ne contient aucune référence à l’OI. En dehors des dispositions de l’APV FLEGT, il n’existe pas de base juridique spécifique pour l’implication des OSC dans l’OI en République centrafricaine, ni pour protéger les lanceurs d’alertes. « Si aujourd’hui on met à l’écart l’APV, on enlève la base juridique qui permet à la société civile de regarder ce qui se passe – ce serait le chaos total », a-t-il précisé.
Un processus de révision du code forestier centrafricain va bientôt être lancé et l’administration forestière recherche un partenaire financier pour l’assister dans ce processus. Les OSC demandent que les activités d’OI et de veille communautaire qui protègent les forêts et contribuent à lutter contre le changement climatique soient institutionnalisées dans le code forestier révisé. Elles espèrent que la répression judiciaire sera renforcée et que des comités de surveillance communautaire villageois seront créés à proximité des concessions forestières.
Cependant, tout progrès dépendra du futur de l’APV. Les OSC demandent à l’UE de réitérer sa confiance dans l’Accord et d’accroître son soutien financier aux OSC afin qu’elles puissent continuer à défendre les droits des populations vulnérables et lutter contre l’exploitation illégale des forêts.
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