
En qualité de membres de la société civile indonésienne, nous apportons notre soutien au Règlement de l’UE relatif aux produits « zéro déforestation » (EUDR) qui a le potentiel d’améliorer la gouvernance notamment dans le secteur de l’huile de palme.
Pour la toute première fois, les regards seront tournés vers les pays importateurs et les entreprises européennes à l’origine de la déforestation afin qu’ils assument leurs responsabilités.
Pourtant, certains aspects du EUDR nous préoccupent, dont l’approche adoptée par l’UE pour son élaboration.
Pas de dialogue
Premièrement, le Règlement a été élaboré de façon unilatérale sans aucun dialogue entre l’UE et les pays producteurs. D’après nos échanges avec le gouvernement indonésien, nous savons que cette situation ne lui plaît pas non plus.
Nous pensons que cela dénote un manque de respect vis-à-vis du travail acharné accompli par les Indonésiens de tous horizons (société civile, secteurs du bois et de la foresterie, autorités, etc.) pour mettre en œuvre le plan d’action relatif aux réglementations forestières, à la gouvernance et aux échanges commerciaux (FLEGT).
À ce jour, l'Indonésie est le seul et unique pays au monde à être en mesure de délivrer une licence FLEGT qui garantit que le bois est prélevé, transformé et exporté en toute légalité de même qu’elle lui ouvre un accès privilégié au marché européen. L’impact du programme FLEGT sur l’Indonésie est positif.
Grâce au FLEGT et à l’accord de partenariat volontaire (APV) signé entre l’Indonésie et l’UE, nous avons la possibilité de surveiller nos forêts en toute indépendance pour lutter contre l’exploitation forestière illégale, nous avons accès à des mécanismes de dépôt de plainte lorsque nous découvrons des problèmes et nous pouvons communiquer nos inquiétudes à notre gouvernement.
En outre, la transparence s’est améliorée. Nous avons accès aux documents des entreprises et pouvons surveiller leurs activités. Il y a également moins d’exploitation forestière illégale en Indonésie. Bien sûr, il y a encore beaucoup de travail à faire pour perfectionner ce système.
L’APV FLEGT est le fruit d’un long processus de négociation et met en lumière les défis à relever dans la mise en œuvre de l’EUDR, notamment compte tenu des différences majeures qui existent entre les secteurs du bois et de l’huile de palme. En effet dans le secteur de l’huile de palme, les entreprises puissantes, les conflits et le manque de transparence sont légion.
Impact sur les petits producteurs
Même si nous sommes favorables au EUDR, nous savons que cela n’est pas suffisant pour lutter contre la déforestation mondiale et garantir à tous une justice, c’est pourquoi nous soulevons un certain nombre d’inquiétudes.
Premièrement, nous craignons la marginalisation potentielle des petits producteurs d’huile de palme qui risquent d’être négativement affectés par le Règlement.
En Indonésie, la plupart des petits producteurs sont issus des Peuples autochtones et l’agroforesterie, qui mêle cultures arboricoles et agricoles, fait partie des moyens qu’ils ont pour gagner de l’argent. Ainsi, la définition stricte de la déforestation telle que décrite dans l’EUDR est problématique pour eux. Les Peuples autochtones devraient par conséquent bénéficier d’un traitement spécial au regard de la loi. Par exemple, lorsqu’une zone s’étend sur moins de deux hectares, elle ne devrait pas être considérée comme ayant subi une déforestation.
L’EUDR est également susceptible d’impacter les petits producteurs en leur privant d’un accès direct au marché. Pour contrecarrer ce risque, le Règlement devrait s’accompagner de mesures de soutien en faveur des petits producteurs.
Législation nationale
Deuxièmement, nous nous inquiétons du manque de garanties internationales des droits humains dans le champ d’application du Règlement.
L’EUDR exige des entreprises qu’elles respectent les droits humains dans la mesure où ceux-ci sont garantis par les lois en vigueur dans les pays producteurs. Or, chaque pays utilise des normes et des systèmes légaux différents. À titre d’exemple, dans le secteur de l’huile de palme en Indonésie, les atteintes aux droits humains sont nombreuses (accaparement des terres, violences, etc.) et les droits fonciers des Peuples autochtones ne sont pas correctement protégés par la législation nationale. C’est pourquoi il ne faut pas simplement compter sur les lois en vigueur dans les pays pour protéger les droits fonciers des peuples vivant dans les forêts.
Troisièmement, nous nous inquiétons au sujet de la transparence et de l’accès à une justice. Pouvoir accéder facilement à l’information est indispensable, par exemple en ce qui concerne la procédure relative au devoir de vigilance. La société civile doit être impliquée dans les processus indépendants de surveillance, qui ne doivent par ailleurs pas compter uniquement sur les données satellitaires, ainsi que dans les mécanismes de dépôt de plainte. Sans cela, la mise en œuvre des normes relatives aux droits humains sera inefficace.
Quatrièmement, nous craignons que l’avenir de notre APV FLEGT soit incertain. Si l’UE ne tient pas compte de cet aspect, l’EUDR entraînera un découragement parmi les pays qui travaillent à l’amélioration de la gouvernance de leurs forêts et industries.
Tirer parti des leçons passées
Lorsque l’on voit à quel point il est difficile pour les pays producteurs de mettre en application la règlementation concernant une seule marchandise, le bois, on ne peut qu’imaginer ce qu’il en serait avec six autres marchandises en jeu, notamment dans les pays qui produisent plusieurs d’entre elles.
Notre suggestion consiste à s’abstenir de simplifier les processus d’évaluation pour l’ensemble des marchandises concernées, car les conditions diffèrent. Les évaluations doivent comporter des discussions avec les pays producteurs et des mécanismes de surveillance indépendants.
Nous pensons que nous aurions des leçons à tirer des procédures d’APV car elles n’ont pas été des plus faciles.
Nous avons confiance dans l’EUDR mais nous devons également respecter les procédures relatives aux APV et les résultats qu’elles engendrent en matière de sensibilisation aux enjeux de légalité et de gestion durable des forêts.
L’UE devrait se montrer tolérante et prendre en considération les obstacles qui se dressent face aux pays producteurs, tout en assumant ses responsabilités en ce qui concerne le bon fonctionnement pour tous de ce nouveau Règlement.
Le cas échéant, le Règlement pourra alors concourir à la transformation du secteur de l’huile de palme en Indonésie en améliorant sa gouvernance, les conditions d’exercice des droits humains et la lutte contre la dégradation de l’environnement.
Auteurs : Abil Achmad Akbar (Chargé de campagne Forêts, Kaoem Telepak) et Sri Palupi (Chercheuse, co-fondatrice et ex-directrice du Institute for Ecosoc Rights, Indonésie).

Catégories: Forest Governance, Illegal logging, EU-Indonesia Free Trade Agreement, Indonesia